Simon Adjatan

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La Métamorphose de Franz Kafka

vendredi 12 décembre 2008, par Simon Florentin Adjatan

La Métamorphose (Die Verwandlung) est une nouvelle allégorique écrite par Franz Kafka, publiée en 1915, et certainement la plus célèbre de ses œuvres avec Le Procès. Un vendeur, Gregor Samsa, se réveille pour se retrouver transformé en un « monstrueux insecte ». Beaucoup l’interprètent comme un conte sexuel symbolique, conduisant les critiques à l’associer fréquemment à l’existentialisme.

La Métamorphose est ouverte à une multitude d’interprétations. En fait, le livre de Stanley Corngold (The Commentator’s Despair) en dénombre plus de cent trente. Les plus évidentes évoquent le traitement social d’individus différents. D’autres abordent la solitude et le désespoir qu’engendre une mise à l’écart.

Sur une centaine de pages, l’auteur nous fait la narration de la nouvelle vie de Grégoire Samsa, simple représentant de commerce qui s’est éveillé un beau matin "transformé en une véritable vermine". C’est à dire que Samsa est devenu un insecte humain. Étant la seule source de revenus ou presque de sa famille (ses 2 parents et sa sœur), il va devoir faire face aux difficultés que crée sa nouvelle situation, dont bien entendu l’impossibilité de toute vie sociale... et familiale.

Car la famille de Grégoire elle-même supporte difficilement cette situation. Grégoire est laissé seul, confiné dans sa chambre, et c’est sa soeur qui vient le nourrir, toujours quand lui est caché sous son lit afin de ne pas être vu. La sœur agit par curiosité autant que par pitié. Les parents quant à eux sont dégoûtés de leur (ex)fils. Pas de pitié. Pas de compassion. D’ailleurs Grégoire n’en demande pas. Il se contente de vivoter sa vie d’insecte dans sa chambre.

Il est tout d’abord rongé par sa nouvelle situation. Il éprouve de la culpabilité de ne plus pouvoir aller travailler, de ne plus pouvoir assurer la vie de sa famille, et même de devenir un fardeau pour eux. Il est gêné par les taches qu’il impose à sa sœur et c’est pour cela qu’il se cache lorsque celle-ci vient le nourrir. Pourtant il n’est pas tout à fait exclu. Il suit les conversations, via l’entrebâillement de la porte de sa chambre. Il tente même quelques sorties. Il sera repoussé à coup de balais, à coup de pied, jusque dans son antre. Avec des blessures physiques (il a par exemple une pomme pourrie qui s’est incrustée dans sa chair) aussi bien que psychologiques.

C’est donc avant tout l’histoire d’un homme progressivement délaissé qui nous est comptée. Cet homme, Grégoire, est définitivement coupé de tout avenir professionnel, de toute vie sociale et familiale. Toute nouvelle tentative de ré-insertion est écrasée. Il en est réduit à susciter le dégoût, la colère, la peur. Alors forcément il va peu à peu perdre tout espoir et se laisser aller. Tandis que même sa sœur va l’abandonner, suite à une ultime tentative manquée de ré-affirmer son humanité.
Incapable de communiquer, Grégoire doit subir tout ce qu’on lui soumet. Même lorsque cela part d’un bon sentiment, comme le fait de retirer tout ses meubles pour pouvoir le laisser ramper comme bon lui semble sur les murs et le plafond. Il n’y peut rien, il est devenu un boulet. Une fois toute la famille à dos, et sans que pourtant celle-ci ne daigne l’abandonner (ce qui fait qu’il reste coincé dans sa situation de boulet), Grégoire va perdre peut à peu toute envie de vivre, et va se laisser mourir, tandis que sa famille l’a moralement abandonné, incapable de le comprendre, et ne désirant de toute façon pas le faire, puisque les insectes ne peuvent être que des êtres répugnants.

Ainsi, Grégoire va donc se laisser mourir. Et en effet un beau matin, la bonne, la seule qui osait voir Grégoire (et qui ne le considérait que comme une saloperie amusante), le retrouvera mort. "Venez donc voir, il est crevé, il est là, il est couché par terre ; il est crevé comme un rat."
Un épitaphe sans pitié, terminant ainsi la pathétique vit de Grégoire Samsa. Mais le pire est peut-être encore que sa mort sera vécu comme une libération divine par la famille Samsa, qui va revivre.
Grégoire, qui dans sa période humaine aura trimé pour faire vivre les siens et qui du jour au lendemain aura été abandonné, méprisé puis finalement oublié de tous.

On retrouve là une constante dans la thématique de Kafka : l’absence de signification de la vie. Pas de questions métaphysiques dans La Métamorphose. On voit juste ce qui est. Personne ne s’interroge sur le pourquoi scientifique de la métamorphose. Elle est, tout simplement. Comme une fatalité qui peut vous tomber dessus à tout moment. On ne peut rien y changer et il est inutile d’en connaître le pourquoi. La vie, aussi absurde qu’elle puisse paraître, se doit d’être vécue comme elle est, ou alors, et bien il reste toujours la mort...

C’est pourquoi l’élément fantastique inhérent à l’histoire de départ de la Métamorphose est très vite évacué dans un réalisme de l’absurde - autrement dit une partie de ce que l’on désigne fréquemment sous l’adjectif "kafkaïen". Les personnages ne s’étonnent pas de l’état de Grégoire. Il le dégoûte mais ils l’acceptent (un peu comme le personnage de William Lee dans le Festin Nu de Cronenberg). A partir de là le fantastique n’est plus d’actualité. L’intrusion de l’élément surnaturel dans le quotidien est vécu comme quelque chose de naturel. De là né un certain décalage, non dépourvu d’humour (noir, très noir, forcément), propre à la bibliographie de l’auteur, mais qui atteint son apogée dans La Métamorphose.

Sous ses apparences fantastiques, cette nouvelle n’est donc en fait qu’une allégorie, que le lecteur peut interpréter comme il veut. Le handicap. La solitude. La routine. La culpabilité. La famille disloquée. L’asociabilité... Autant de significations potentielles à la métamorphose de Grégoire... Quoique l’on en retienne, tout s’inscrit dans la vision kafkaïenne de la vie.

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